Beaucoup d’articles à partager cette semaine !
Petits portraits des actualités récentes et focus romancé avec Reporterre, le média de l’écologie !
À la veille de la journée mondiale contre la faim, deux ONG exigent que la France et le monde freinent la spéculation alimentaire. Banques, fonds d’investissements… profitent des crises et participent à la flambée des prix.
Un article par Aude Cazorla
Photographie Pixabay
Le 13 juin 2023
Accusés de maltraitance, des éleveurs se font retirer leurs troupeaux. Ils se considèrent victimes d’un système agricole qui broie humains et animaux, et se fédèrent pour tenter de relever la tête.
Un article par Marie Astier
Illustration par JB Meybeck
Le 14 juin 2023
Feux de pâturage : dans les Cévennes, des agriculteurs impunis
Un article par Marie Astier
Photographie DR
Le 14 juin 2023
À cause d’un cercle vicieux, l’intensification des feux dans les forêts boréales pourrait accélérer le changement climatique, voire leur faire franchir un « point de bascule », expliquent des chercheurs à Reporterre.
Un article par Vincent Lucchese
Photographie BC Wildfire Service
Le 15 juin 2023
Une grande manifestation est prévue les 17 et 18 juin en Savoie contre la liaison ferroviaire Lyon-Turin. Les opposants dénoncent un chantier pharaonique, coûteux et vorace en terres agricoles.
Un article par Moran Kerinec
Photographie par Marco Bertorello / AFP
Le 16 juin 2023
Le testament romancé du dernier Grand pingouin
Un article par Catherine Marin
Le 12 juin 2023
Dans son livre Le dernier des siens, Sibylle Grimbert raconte une amitié poignante entre un naturaliste et un pingouin de l’Atlantique, sur fond de disparition de l’espèce.
On voit d’abord un chien, un chat, un oiseau… et puis bientôt un être vivant particulier, avec son caractère propre. Il a sa façon à lui de vous regarder, d’être vivant, de vous dire « je t’aime bien ». Considérés longtemps comme des « machines » par la philosophie et toujours comme des « choses » par l’économie, les animaux non humains laissent pourtant maintes empreintes dans nos vies, parfois indélébiles.
C’est ce qui arrive à Gus, personnage central du roman Le Dernier des siens : dans les années 1830, ce jeune naturaliste français s’est pris d’amitié pour un pingouin de l’Atlantique, au point que sa femme, Elinborg, lui a un jour demandé : « Veux-tu que, moi aussi, je fasse cot, cot, cot ? »
L’éclosion d’une relation
Ce roman de Sibylle Grimbert est paru en 2022 et a obtenu cinq prix, dont celui de la Fondation 30 Millions d’amis (dit le Goncourt des animaux) et celui de la Fondation François Sommer — sans compter sa sélection pour les prix Renaudot, Fémina, du Roman d’écologie, etc. On croit comprendre pourquoi.
Il est rare de lire une fiction qui détaille si bien, à travers gestes d’attention, questions et regards, l’éclosion et l’approfondissement d’une relation entre un être humain et un animal sauvage. Une relation poignante, intensifiée par sa dimension historique — ce récit bien documenté se termine en 1845, date de la disparition officielle de l’espèce du grand pingouin de l’Atlantique.
Visuelle, sensitive, l’écriture de cette romancière confirmée nous immerge avec talent dans les îles de l’Atlantique Nord, Orcades et Féroé, si brumeuses qu’elles semblent en apesanteur au-dessus du monde — certains habitants y racontent d’ailleurs encore que leur famille descend d’un phoque. Pourtant, là-bas comme dans tout l’Occident, l’animal n’est bon qu’à travailler, à être vendu ou mangé.
Pourquoi alors Gus, scientifique ambitieux de 23 ans, allait-il s’attacher à ce palmipède rescapé du massacre de l’île d’Eldey au point de refuser de l’envoyer en France pour être naturalisé et exposé au musée de Lille ? Pourquoi allait-il décider de fuir les Orcades avec lui quand un hibou cloué sur sa porte l’avertit qu’il est en danger (son entourage voyait d’un mauvais œil sa « lubie », un ongle ou un œil de pingouin se vendant déjà cher au marché des fétiches…) ?
Un pingouin au ventre arrondi
Impossible de raconter ici tout le cheminement de cette relation entre Gus et celui qu’il va baptiser Prosp, diminutif de Prosperous (parce qu’il a un ventre arrondi), comme Gus est le diminutif d’Auguste. Trop de détails, d’émotions pensives qui ne prennent sens que dans l’espace complice qu’ils parviennent à créer.
Mais pour en arriver au plaisir de caresser la tête de Prosp posée confiante tout contre son épaule, Gus devra balayer les préjugés qui ont caricaturé l’espèce (du fait de leur bec crochu, les pingouins seraient dangereux ; avec leurs cris rauques, ils attireraient le malheur) et au-delà, tous les animaux au profit des humains.
Notamment avec cette idée confortable qui assure que l’animal est satisfait dès qu’on lui assure le gîte et le couvert, sans égards pour sa vie émotionnelle — la zoopsychiatrie en démontre les ravages, aussi bien dans les « élevages » industriels qu’au travers de la maltraitance domestique courante (enfermement, négligence relationnelle…).
C’est au contraire en permettant à Prosp de se baigner à nouveau dans la mer, en reconnaissant l’importance vitale pour lui des stimulations de son milieu naturel d’origine, que Gus rend possible une vraie relation.
« Le cou dressé vers l’horizon, la mer, les embruns »
Joie rare, au travers des dessins et descriptions de Gus, le lecteur voit Prosp se révéler sous ses yeux, physiquement et dans sa vie intérieure. Une scène déchirante le montre sonné, attendant la mort sur un rocher après avoir été violemment repoussé par la colonie de pingouins de Saint-Kilda ; une autre : criant de joie sur un bateau, « le cou dressé vers l’horizon, la mer, les embruns ; écartant les ailes pour que l’eau glisse sur son corps ».
On le voit jaloux, gentil, curieux, moqueur, vivre comme une « personne », selon l’expression du biologiste Yves Christen, et non pas réduit à cette caricature d’être sans raison, sans conscience et sans but propagée par la philosophie classique (Descartes, Kant), et toujours à l’œuvre dans les têtes.
Un portrait salutaire, qui incite à être plus ouvert à l’aventure de l’altérité. D’autant que l’on voit Gus changer, se délester de sa carapace émotionnelle. Petit à petit, il largue ses projections virilistes : le jour de la tonte annuelle des moutons, à mains nues (scène saisissante), il comprend avec les cris effarés de Prosp que les « sauvages » ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
L’idée du Dernier des siens a germé sur un canapé. En pensant au dodo, animal officiellement disparu au XVIIᵉ siècle, racontait Sibylle Grimbert au micro de France Culture en octobre 2022 : « C’est incroyable d’être le dernier oiseau dodo sur son île. Et qu’est-ce qu’un homme qui rencontrerait cet être unique penserait ? Je trouvais cette idée totalement vertigineuse. Elle me passionnait, en fait… »
Lamento poignant, la fin du Dernier des siens nous montre cet homme, Gus, pressé par son copain Buchanan de quitter le bout de terre désolée où il a rendu, voilà deux ans, la liberté à Prosp… convaincu, du fait des rumeurs de marins et de ses propres recherches dans l’Atlantique Nord, qu’il est le dernier représentant de son espèce.
Dépressif, Gus ne parvient pas à oublier ce bel oiseau aux ailes nanifiées, sa façon de sourire « à la manière pingouine », de vivre parmi « l’ombre sous-marine des baleines, le nuage des harengs, la bourrasque de la tempête »… Ce bel oiseau près duquel il a découvert la beauté de la « profusion terrestre », et la plénitude : « Dans cet univers marin qui existait avant qu’un être humain ne le regarde et existerait après, il se sentait plus libre, rassuré d’être identique à la vague, de tenir compagnie à la mouche qui volait sur le sable noir… »
L’adieu à un monde « immense et mystérieux »
En 1845, la notion d’« extinction des espèces » n’existait pas encore, et aucun de ses collègues naturalistes, tels Garnier, à Lille, ou Kroyer, à Copenhague, n’avait pu aider Gus à répondre à ses questions. Pourquoi l’espèce du pingouin de l’Atlantique disparaissait-elle alors qu’elle n’avait souffert d’aucune épidémie, et qu’elle n’était pas nuisible à l’Homme ? Pourquoi les naturalistes semblaient-ils indifférents à ce triste constat, retranchés derrière la « science pure » ?
Insoutenables, les scènes de cruauté entrevues sur les îles le hantaient : pourquoi, lors de la fête du Guindodrap, éventrait-on des dauphins encore vivants ? Pourquoi les marins avaient-ils tué tous les pingouins de la colonie d’Eldey, alors en pleine nidification annuelle ? Le « monde immense et mystérieux » de Prosp avait-il disparu pour quelques ragoûts de plus ?
Le testament romancé du dernier Grand pingouin, Catherine Marin, le 12 juin 2023, pour Reporterre
Le Dernier des siens, de Sibylle Grimbert, aux éditions Anne Carrière, 2022, 192 p., 18,90 euros.
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