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Urgence climatique : le rapport accablant du Haut Conseil pour le climat sur le retard de la France

Climat

Par Justine Guitton-Boussion, le 28 juin 2023

Pour Reporterre


Baisse non significative des émissions de gaz à effet de serre, absence d’une réelle politique fiscale pour l’écologie… L’État est mis à mal dans le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat.

« On a dépassé la politique des petits pas, mais on n’est pas encore au pas de course. » La métaphore sportive choisie par Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat (HCC) depuis sa création en 2018, résume à elle seule les années qui viennent de s’écouler.

Devant la presse, la climatologue a présenté avec ces mots le cinquième rapport annuel du HCC, publié dans la nuit du 28 juin, qui vise à évaluer l’action climatique du gouvernement français. Principale conclusion : après avoir traîné des pieds pendant cinq ans, Emmanuel Macron et ses ministres ont enfin commencé à se saisir de la question du climat. Sans toutefois être à la hauteur des enjeux.

« On constate que l’action publique n’est pas suffisante pour garantir les objectifs de 2030 », détaille Corinne Le Quéré à Reporterre. Une échéance que s’est justement donnée la France pour réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre. Depuis, l’Union européenne a rehaussé l’objectif à 55 %. Une mission impossible avec le rythme actuel, affirme le HCC dans son nouveau rapport.

En France, en 2022, les émissions de gaz à effet de serre n’ont diminué que de 2,7 % — soit une baisse de 11 millions de tonnes équivalent CO2 (Mt éqCO2) pour les émissions brutes. Certes, cette réduction est supérieure à celle observée en moyenne sur la période 2019-2021 (8,1 Mt éqCO2). Mais lorsqu’on la rapporte à la période 2019-2022, cela donne, selon des chiffres provisoires, une baisse annuelle moyenne de 9,1 Mt éqCO2. Soit beaucoup moins que les 17 Mt éqCO2 attendues pour la période 2023-2030 afin d’atteindre les -55 % de l’UE. « Le rythme de réduction d’émissions brutes de la France doit presque doubler », résument les auteurs du rapport.

Des baisses trop lentes

Le HCC a épluché les données des émissions de gaz à effet de serre en 2022, secteur par secteur. Le résultat est clair : il va falloir accélérer. « La consommation des véhicules thermiques croît du fait de l’augmentation du poids des voitures, et l’électrification des véhicules utilitaires légers et des poids lourds se déploie trop lentement. La consommation d’énergie dans les bâtiments diminue trop lentement, et l’augmentation de la production des énergies renouvelables électriques est trois fois trop lente », déplorent coup sur coup les auteurs.

Ils constatent notamment une augmentation des émissions dans les secteurs de l’énergie (+4,9 %, à cause d’un recours plus important au gaz pour compenser la réduction des productions nucléaire et hydroélectrique) et des transports (+2,3 %, dans la poursuite de son rebond post-Covid-19).

Les émissions du secteur des transports ont augmenté de 2,3 % après les confinements liés au Covid-19. Negativespace/CC0/Joe deSousa

De plus, les puits de carbone naturels, qui permettent de capturer du CO2 dans l’atmosphère et de les stocker (les forêts, les haies, les sols agricoles…), ont diminué de 21,1 % en 2021, par rapport à 2020. Cette baisse s’explique principalement par la mortalité des arbres, le ralentissement de leur croissance, des prélèvements forestiers plus importants ou encore le stress hydrique (le manque d’eau) des écosystèmes. « Nous n’avons pas encore les chiffres pour 2022, mais il est vraisemblable que ce sera plus bas encore », prévoit Jean-François Soussana, membre du HCC, citant les feux de forêt et les sécheresses agricoles de l’année dernière. Sans plan de sauvegarde, ces puits de carbone pourraient avoir disparu en 2050.

De « fortes baisses » des émissions de gaz à effet de serre sont toutefois soulignées dans les secteurs du bâtiment (-14,7 %) et de l’industrie (-6,4 %). Le HCC signale qu’elles peuvent découler de facteurs conjoncturels (par exemple l’hiver doux de 2022, qui a réduit les besoins en chauffage), comme de mesures de sobriété. Impossible toutefois d’affirmer si cette sobriété était subie par les Français, imposée par la hausse des prix de l’énergie, ou si elle était une réponse aux incitations du gouvernement.

Le HCC salue d’ailleurs cet appel à la sobriété, qu’il appelait de ses vœux dans son précédent rapport annuel. En effet, après avoir longtemps dénigré les militants écologistes — les comparant au « modèle amish » en voulant le retour de la « lampe à huile » — Emmanuel Macron a finalement présenté en octobre 2022 un plan de sobriété énergétique.

30 milliards d’euros par an à trouver

« On a vu cette année beaucoup de documents stratégiques, de plans d’action, qui ont mobilisé les acteurs, les parties prenantes. Au niveau de la mise en œuvre, ça a quand même bien avancé », reconnaît Corinne Le Quéré. La création d’un secrétariat général à la planification écologique est ainsi félicitée. Mais un problème persiste : il n’y a pas de politique économique claire pour accompagner ces plans d’action.

En clair, le gouvernement sait quelles actions entreprendre, qu’il doit les accélérer et décider comment les financer. « Les chiffres ne sont pas contestés, ils ont été publiés dans le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz il y a quelques semaines, rappelle Corinne Le Quéré. On parle d’investissements annuels qui doivent augmenter pour atteindre 65 milliards d’euros en 2030, dont environ la moitié viendrait du financement public, soit 30 milliards euros par an. »

« Cette politique économique devra être « juste » socialement »

Où trouver l’argent ? Dans son rapport, l’économiste Jean Pisani-Ferry préconise un impôt sur le patrimoine des Français les plus riches, et un recours massif à l’endettement. Deux leviers que rejettent pour le moment Emmanuel Macron et le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. Le HCC, lui, ne s’avance pas. « C’est vraiment au gouvernement de décider quelle sera sa politique économique, budgétaire, fiscale qui lui permette d’enclencher cette accélération », souligne Corinne Le Quéré.

La climatologue précise seulement : cette politique économique devra être « juste » socialement. Par exemple, aujourd’hui, malgré les aides promises par le gouvernement, les offres de petits véhicules électriques légers ne sont pas accessibles aux foyers modestes, signale-t-elle.

Six mois pour répondre au HCC

Le HCC a émis plusieurs dizaines de recommandations au gouvernement, du renforcement des dispositifs pour décarboner les véhicules, à la révision du système d’accompagnement des agriculteurs, en passant par l’accélération de la rénovation des bâtiments. La réponse du gouvernement à ces recommandations est attendue dans les six mois. Ce rapport arrive au bon moment : l’État s’apprête à réviser la Stratégie nationale bas carbone, et prépare la loi de programmation quinquennale sur l’énergie et le climat (LPEC), qui doit fixer les nouveaux objectifs climatiques du pays.

L’urgence à agir est désormais palpable. Dans ce rapport, le HCC dresse un terrible bilan de l’année 2022 : elle a été « exceptionnellement chaude », avec une température moyenne à +2,9 °C par rapport à 1900-1930, selon les données de Météo-France, et très sèche (déficit de précipitations de 25 % par rapport à 1991-2020). Les vagues de chaleur estivales ont induit plus de 2 816 décès en excès, plus de 2 000 communes ont connu de fortes tensions dans leur approvisionnement en eau potable, 72 000 hectares ont brûlé… Et la situation va s’empirer. « Les projections climatiques montrent qu’un réchauffement de près de 2 °C à l’horizon 2030, avec une fourchette haute à 2,3 °C, est pratiquement inévitable pour la France (en moyenne sur vingt ans) », peut-on lire dans le rapport. D’où le besoin de « mesures d’adaptation supplémentaires », insistent les auteurs.

La publication de ce nouveau rapport intervient après une année chahutée pour le HCC. Comme l’avaient révélé nos confrères du Monde et de Mediapart, « l’organisme a été désorganisé par son nouveau directeur exécutif, proche d’Emmanuel Macron et des sphères pro-business ». Le rapport publié en 2022 avait été édulcoré, des passages avaient été modifiés, voire supprimés, pour être plus complaisants envers le travail du gouvernement. Corinne Le Quéré l’assure : les treize membres du HCC ont préparé ce nouveau rapport « en toute indépendance ».

Elle se veut également optimiste pour les années à venir. Si le gouvernement met réellement en place une trajectoire de financement claire, s’il s’aligne sur l’objectif européen, « on peut vraiment y arriver en 2030 », insiste-t-elle. Avant d’ajouter : « De toute façon, il le faut. C’est un point de passage nécessaire pour arriver à la neutralité carbone en 2050. Et ainsi réduire les risques climatiques qui pèsent sur nous. »

Crédits images : © Vincent Gerbet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP; Negativespace/CC0/Joe deSousa

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