“Bon, c’est fini ce mois de novembre ? “*
Il pleut tous les jours et avec ces températures automnales, on est bien loin du printemps caniculaire de 2023. Oui, mais…
“Eh bah en voilà de l’eau, qu’ils ne viennent pas parler sécheresse cette année”*
“Et y disent que ça se réchauffe, moi j’trouve pas trop”*
Bien loin de vouloir conforter les arguments de nos camarades climatosceptiques, les pluies et la supposée fraîcheur du printemps ne sont pas non plus des réjouissances…
Coup d’œil météorologique pour mieux comprendre, avec un nouvel article de Reporterre.
*Propos entendus et récoltés en sud-Ardèche et sur les côtes méditerranéennes.
Pourquoi ce printemps est-il si pluvieux ?
Par Emmanuel Clévenot, le 23/05/2024, pour Reporterre
Les fortes précipitations du printemps en France s’expliquent par le réchauffement de l’atmosphère. Cette situation devrait se reproduire à l’avenir, accompagnée d’étés de plus en plus secs.
« J’en ai ras-le-bol, je veux partir d’ici. » Mardi 21 mai, une habitante sinistrée des Deux-Sèvres livrait son désarroi au micro de franceinfo, de l’eau boueuse à hauteur de genoux. Seulement, partir pour aller où ? La veille, 94 des 96 départements de l’Hexagone étaient sous le coup d’une vigilance jaune ou orange pluie-inondation prononcée par Météo-France. Dans la Somme, l’Oise, la Sarthe, le Bas-Rhin, ou encore l’Ille-et-Vilaine, la pluie n’en finit plus de tomber.
Jeudi 23 mai au matin, 71 départements sont encore placés en vigilance jaune orages. Alors, pourquoi ce printemps est-il marqué par de telles précipitations ? Cette tendance n’est-elle pas contradictoire avec le changement climatique ? « Bien au contraire, c’en est même un symptôme », assure le climatologue Robert Vautard. Une loi physique, la formule de Clausius-Clapeyron, est à l’origine de ce phénomène.
Des événements de plus en plus extrêmes
Que dit-elle ? « À l’augmentation de température de 1 °C, correspond une augmentation de l’humidité de l’atmosphère de 7 %, poursuit le directeur de l’Institut Pierre-Simon-Laplace. Autrement dit, à mesure que le climat se réchauffe, la vapeur d’eau stockée au-dessus de nos têtes se multiplie. » Or, l’air ayant une certaine capacité à contenir celle-ci, une fois le seuil dépassé, elle finit par se condenser, former des nuages et se transformer en pluie. « Résultat : le cycle de l’eau est accéléré par le changement climatique et les précipitations sont plus fréquentes. »
Et contrairement aux apparences, le printemps 2024 a été l’un des plus chauds jamais enregistrés en France. Les températures observées sur la période 1er mars-20 mai sont les septièmes plus hautes depuis le début des relevés dans les années 1930, offrant des conditions propices à l’humidification de l’atmosphère.
« Des sécheresses décuplées dans le Sud et des pluies intenses dans le Nord »
Le 22 mai, le réseau de scientifiques international World Weather Attribution a ainsi établi que le changement climatique anthropique a augmenté de 20 % les précipitations d’automne et d’hiver survenues cette année au Royaume-Uni et en Irlande. « Les jours de tempête, celles-ci sont par ailleurs devenues 30 % plus intenses, par rapport à un climat préindustriel plus froid de 1,2 °C », précisent les auteurs. Des chiffres similaires à ceux observés autour de la Méditerranée, selon Robert Vautard.
Dans les années à venir, tous les pays ne seront toutefois pas logés à la même enseigne. Au Maroc, comme dans le sud de l’Europe, et notamment en Grèce, en Espagne et au Portugal, les précipitations diminueront largement. À l’inverse, en Scandinavie et dans les pays baltes, elles augmenteront significativement. « Tels seront les deux visages du changement climatique en Europe : des sécheresses décuplées dans le Sud et des pluies intenses dans le Nord », analyse le coprésident du groupe 1 du Giec.
Qu’en sera-t-il en France, située dans un entre-deux ? Le volume annuel de pluie ne devrait pas beaucoup y changer, mais pourrait quand même grimper quelque peu, d’après les données des laboratoires français de modélisation du climat. Au même titre que l’Allemagne, cette stabilité cache toutefois une modification des répartitions saisonnières : il pleuvra davantage d’octobre à avril, moins lors de la saison estivale.
Les inondations plus fréquentes au printemps
Qui dit plus de pluie, dit des nappes phréatiques en meilleure santé. Malgré quelques déficits localisés dans l’extrême sud de la France, celles-ci sont globalement parvenues à se recharger grâce aux pluies abondantes d’octobre à mars. Mais attention à ne pas se réjouir trop vite pour autant : « Dès qu’arrive le printemps, ces précipitations ne sont plus du tout efficaces, prévient Robert Vautard. Soit l’eau est immédiatement captée par la végétation, puis évaporée dans l’atmosphère, soit les pluies sont violentes, se transforment en ruissellement et provoquent des inondations. »
Le climatologue en est persuadé : l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des épisodes pluvieux au printemps entraînera une multiplication des inondations dans les villes, y compris dans celles qui n’étaient pas exposées à ce risque jusqu’ici. « Pourquoi ? Parce qu’il ne dépend plus de la proximité avec une rivière en crue, mais de l’urbanisation et de l’imperméabilisation des sols. »
La bonne nouvelle, c’est que l’on peut agir : « Éviter qu’un fleuve ne déborde n’a rien d’évident, poursuit-il. À l’inverse, appliquer des mesures locales de désimperméabilisation des sols est plus simple. Commençons par exclure le bitume et le béton des parkings. Ce sera certes cher, mais de grands volumes d’eau pourront ainsi être absorbés. »
Emmanuel Clévenot, le 23/05/2024
Crédits images :
- Illustration de l’article : Bien que très pluvieux, le printemps a été l’un des plus chauds jamais enregistrés en France. – Pexels / CC / Genaro Servín
- Photographie 1 : Les inondations risquent de devenir de plus en plus fréquentes dans les villes en raison de l’imperméabilisation des sols. Wikimedia Commons / CC BY-SA 3.0 DEED / Lionel Allorge