Vendredi de l’écologie #10

Cette semaine, nouveau regard sur l’écologie, avec la revue en ligne « La Pensée Écologique« . Aujourd’hui, nous avons découvert pour vous un article qui questionne la science à l’heure de l’Anthropocène. (« ère de l’humain », époque géologique marquée par l’influence de l’être humain sur la géologie et les écosystèmes est devenue significative à l’échelle de l’histoire de la Terre.)

« Penser la science à l’heure de l’Anthropocène« , par Alexis Kraft, professeur agrégé au lycée français de Zurich. Retrouvez l’article entier juste ici.

Parler de science est, aujourd’hui, périlleux. On la voit à la fois farouchement attaquée et fermement défendue. Ses énoncés sont mis en doute, relativisés, décrédibilisés par les uns et sa méthode et ses résultats sont ardemment défendus par les autres. Qui donc a raison ? Faut-il trancher entre les sceptiques radicaux qui refusent d’admettre les conclusions des études scientifiques ou bien faire ce que toute raison humaine devrait faire : adhérer aux propositions de la science comme à ce qui, seul, échappe au doute ? Ou bien y a-t-il là une fausse alternative ? D’un côté, les premiers semblent aller trop loin en relativisant la vérité scientifique, invalidant sans analyse précise les développements de la médecine par exemple. De l’autre, les scientifiques nous livrent aujourd’hui un étonnant spectacle : tantôt dans leur rôle de chercheurs ils publient des études, tantôt dans celui de citoyens ils prennent position sur des sujets qui leur échappent autant qu’ils échappent à la méthode scientifique elle-même[1]. Pourtant, refuser de prendre position sur cette question, ou bien suspendre son jugement, c’est donner raison aux premiers. Il faut donc examiner le problème et se demander ce qui a bien pu se passer pour que la science – ou plus exactement la vérité scientifique – entre en crise[2]. Il faut dire que le contexte n’aide pas. Nous sortons, pour un temps au moins, d’une crise sanitaire d’ampleur et nous avons eu comme seuls moyens pour comprendre ce qui se passait les discours parfois contradictoires de certains scientifiques qui, ne sachant plus très bien ou s’arrêtait leur champ de compétence, se sont aventurés par moments dans les zones où la vérité n’est plus aussi claire et distincte, celles de l’éthique ou de la politique notamment ; première imprudence. Allons même encore plus loin : qu’il s’agisse de la crise sanitaire ou bien encore de la crise environnementale – qui fait davantage l’objet de cet article – la science se donne à voir sous deux fonctions : celle qui progresse, qui transforme et que l’on écoute parfois avec fascination et celle qui alerte, qui propose et qui semble pourtant prêcher dans le désert. On se sent sommés de faire un choix mais encore une fois qui doit-on croire ? Ceux qui annoncent pouvoir résoudre les problèmes climatiques par davantage de science, alors même qu’elle semble être la cause par son mariage largement consommé avec la technique des difficultés que l’on cherche à résoudre ? Ou bien ceux qui prennent le risque d’avertir nos sociétés de l’excès, du danger qu’il y a à vivre comme on le fait, alors même que les avantages que nous promet la technoscience n’ont jamais été aussi alléchants ? Car enfin, les preuves du succès de la science ne sont plus à faire ! Si nous accordons à la science ce privilège de nous dire la vérité, alors acceptons ses promesses avec la foi d’un transhumaniste ! Mais là se glisse peut-être un autre problème. Affirmer que la science énonce des vérités ne signifie pas pour autant qu’elle est seule à pouvoir le faire, ni qu’elle tient le seul discours pertinent pour comprendre le monde : deuxième imprudence. Tout d’abord parce qu’elle explique, et ne comprend donc pas, mais aussi parce que les théories qu’elle énonce peuvent et doivent être discutées. En un mot, parce que ses vérités ne sont pas absolues. Avons-nous, en disant cela, franchi la ligne à ne pas franchir ? Avons-nous donné raison aux sceptiques en reléguant la science au rang des opinions ? Assurément non. Clarifions notre propos : si deux voix discordantes se font entendre, c’est peut-être parce qu’il y a bien deux locuteurs différents. Nous distinguerons donc assez simplement d’une part la technoscience, c’est-à-dire la méthode destinée à l’élaboration de lois (science) et finalisée par la transformation du donné naturel au moyen de la technique (pratico-utilitaire), et d’autre part ce que, faute de mieux pour l’instant, nous appellerons la science. Nous tenons le mélange des discours pour responsable de cette confusion qui fait que nous ne savons plus à quelle science nous vouer. Une fois posée la distinction, il nous faudra d’abord comprendre ce qui caractérise la science moderne à son apparition et montrer par-là pourquoi elle nous apparaît définitive et indépassable. Mais il ne nous échappera pas qu’elle entre dans un nouvel âge que d’aucuns qualifient de nouvelle ère. L’Anthropocène amène la redoutable question des conditions de possibilité de la vie humaine telle que nous la connaissons. Que cette nouvelle ère conduise les scientifiques à exercer leur savoir différemment, voilà qui paraît assez sage. N’est-ce pas d’ailleurs au fond le message que le célèbre mathématicien Grothendieck nous laisse au seuil de ce XXIe siècle ? Mais justement, nous dira-t-on, cet homme aussi brillant fût-il a osé poser la question redoutable : « Allons-nous continuer la recherche scientifique ? »[3]. Et bien nous répondrons qu’il a cessé de participer à la recherche scientifique sous le prisme de l’utilité pour continuer à penser comme mathématicien. Nous devrons donc analyser les critiques adressées à la technoscience pour montrer en quoi la questionner n’est pas refuser tout discours scientifique mais simplement faire ce que notre époque exige : penser la science. Ce faisant, non seulement nous échappons aux critiques d’antihumanisme souvent associées à cette démarche critique, mais nous montrons que l’absence de critique ruinerait les possibilités même d’exercice de la science. Reprenant Arendt, sans qui cette réflexion ne saurait être menée, nous postulerons enfin l’existence d’une autre science, d’une autre manière de faire de la science, qui mettrait la « mortalité de fait (de l’homme) au rang des conditions élémentaires qui rendent possible chacune de ses tentatives scientifiques »[4]. Une telle discussion n’est encore une fois pas neuve. La théologie médiévale, et particulièrement celle de Bonaventure, nous aidera à tracer les contours de cette science-là qui existe pleinement comme discours sur le monde mais pas comme seul discours. Réinscrire la science dans la pluralité des discours sur le monde sans pour autant nier sa vertu heuristique et son rôle dans la poursuite du vrai nous semble une des leçons bien utiles que nous a transmise la pensée médiévale.

« Penser la science à l’heure de l’anthropocène« , Alexis Kraft, La Pensée Écologique, le 19/01/2023

Par ce que cet article nous agites particulièrement les méninges, nous vous invitons largement à jeter un œil sur la rubrique entière. Retrouver là et plein d’autres réflexions abritée par les Presses Universitaires de France sur le site de la revue en ligne « La Pensée Écologique« 

Expression peu familière, la « pensée écologique » exige en premier lieu une clarification sémantique.

[…] la « pensée écologique » s’entend d’un mouvement d’idées, apparaissant de manière reconnaissable dès le XIXe siècle, prenant appui sur une échelle nouvelle et menaçante de perturbations infligées au milieu, réinterrogeant la place de l’homme au sein de la nature. À compter de la seconde moitié du XXe siècle, la pensée écologique apparaît comme un courant d’idées distinct du libéralisme, du socialisme, du féminisme, etc. Il se signe par un scepticisme affiché à l’endroit de la prétention des techniques à surmonter les difficultés écologiques qu’elles produisent, et par une critique, à l’éventail assez large, de l’anthropocentrisme. Plus récemment, avec l’entrée dans l’Anthropocène, la pensée écologique emporte un paradigme alternatif à la modernité, et à ce qui la caractérise éminemment, à savoir la séparation de l’homme et de la nature.

La Pensée Écologique

Crédits images : La Pensée Ecologique, Canva

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